Située dans la préfecture de Fukui, au nord-ouest de Kyoto, la ville de Sabae est fière d’assurer la production de 96 % des montures de lunettes made in Japan. Dans cette petite agglomération, la fabrication de lunettes repose sur un savoir-faire industriel transmis depuis plus de 110 ans. Japonism y voit le jour en 1996, en tant que marque phare de Boston Club Co., Ltd., entreprise spécialisée dans le design de montures dont le siège est implanté dans la région depuis plus d’une trentaine d’années. En 2016, la marque célèbre ses 20 ans.
À l’époque de son lancement, la tendance au Japon était à l’effervescence pour les produits sous licence de marques étrangères (produits pour lesquels les marques autorisaient, à l’issue d’un contrôle qualité, une entreprise tiers à faire usage de leur nom). Le cachet conféré par le nom d’une marque était alors plus recherché que le design et la qualité.
Lors de ses visites quasi quotidiennes à la fabrique de lunettes, Kazumi Komatsubara, le fondateur de l’entreprise et de la marque, avait lui-même observé les prouesses dont la technologie de Sabae était capable. Il en acquit dès lors la conviction que le made in Japan pouvait remporter du succès dans le monde entier. C’est ainsi que, fruit de la volonté de vendre dans le monde entier une marque fabriquée au Japon, naquit Japonism.
Le nom de la marque trouve son origine dans l’exposition « Japonisme et mode », que Kazumi Komatsubara visita à Kyoto.
* L’exposition « Japonisme et mode » débuta à Kyoto en 1994, puis neuf années durant fut aussi organisée à Paris, New York, Wellington et dans d’autres grandes villes du monde. Cette exposition rendait compte, pour la première fois, du fait que la prodigieuse influence de l’esthétique japonaise en Occident, le japonisme, avait été à la source de changements majeurs dans le monde de la mode également.
Émerveillé par les costumes et textiles exposés, il comprit que le Japon ancien avait ébranlé le monde. Peu après la chute du shogunat et la réouverture du Japon, l’art japonais connut une diffusion aux quatre coins du globe, inspirant profondément de jeunes créateurs dans divers genres jusqu’en Europe et donnant naissance à ce mouvement nouveau, le japonisme, qui exerça à son tour son influence sur les arts et la mode de l’Occident.
Ayant de ses yeux constaté le potentiel résidant dans ces énergies japonaises latentes, Kazumi Komatsubara comprit qu’il devait réaliser ce qu’il avait en tête, c’est ainsi que naquit la marque originale de Boston Club : Japonism.
En 1996, année du lancement de la marque, la première collection fut présentée à l’IOFT (le plus grand salon de lunetterie du Japon, dont la première édition remonte à 1987). Le concept des produits exposés était alors Neoclassical. Il consistait à déployer les capacités inhérentes aux technologies propres au Japon et les exprimer sous la forme de lunettes japonaises. La même année, Boston Club présenta ses créations à l’International Vision Expo de New York. Cela marque le début de sa mise en rayon dans plusieurs enseignes de renom, dont la première fut Robert Marc.
Présent dès la même époque à SILMO et à MIDO, Boston Club poursuit depuis le rêve original de Kazumi Komatsubara. De l’Asie à l’Europe, en passant par l’Amérique du Nord, Japonism s’est imposé comme la marque de lunettes made in Japan.
L’expression japonisme commença à être employée dans la France du XIXe siècle. L’Europe avait alors vu s’épanouir la mode des « chinoiseries », et le goût pour les choses venues d’Asie à la sensibilité orientale débordante connaissait alors un engouement sans précédent.
C’est au même moment que le Japon rouvrit ses frontières après plus de deux siècles de fermeture, et que l’art japonais commença à circuler en Europe. De plus, la présence remarquée d’objets japonais à l’exposition universelle de 1867 à Paris suscita un vif intérêt pour toutes sortes de choses fabriquées au Japon.
Ainsi, les œuvres japonaises circulant en Europe furent à leurs débuts, à l’instar de la culture chinoise, désignées comme de simples « japonaiseries », mais l’influence exercée par les arts japonais sur les artistes occidentaux devint de plus en plus grande et se retrouve dans leurs œuvres.
Cette influence considérable qu’exerça la culture japonaise sur les arts et la mode européens fut alors nommée le japonisme.
Revue d’époque dont Van Gogh fit une reproduction.
Parmi ces influences, celle de l’ukiyo-e (estampe japonaise), qui subjugua de nombreux grands maîtres de la peinture impressionniste pendant leur jeunesse, fut particulièrement importante. On raconte que Van Gogh, qui de son vivant ne parvint à vendre qu’une seule toile, possédait 477 estampes, ce qui laisse supposer que leur prix d’achat était abordable.
Cette aptitude à la diffusion est considérée comme l’un des facteurs à l’origine de l’engouement pour le japonisme. Au Japon déjà, les estampes ukiyo-e n’étaient pas particulièrement onéreuses, et devaient coûter l’équivalent de 400 yens actuels (environ 3 euros). On allait même jusqu’à réutiliser les vieilles estampes pour emballer la vaisselle. Une anecdote rapporte que les collectionneurs occidentaux recherchaient d’authentiques ukiyo-e parmi ces emballages. À bien considérer toute l’influence qu’exerça l’ukiyo-e sur la peinture qui, alors que l’Occident dominait le monde, occupait parmi les arts une place de choix, le phénomène du japonisme ne se laisse pas résumer à sa seule dimension culturelle, mais correspond à un véritable changement de la conscience esthétique mondiale.
Entre le recours à des compositions audacieuses et des agencements de surfaces hauts en couleurs, les répercussions du japonisme se retrouvent également dans le domaine du design. Ainsi l’influence exercée par la diffusion du japonisme à l’époque est incommensurable.
Édouard Manet : Le Joueur de fifre
Dans la peinture réaliste européenne de l’époque, les lignes de contour n’étaient pas admises. On considère que sur cette toile, les lignes noires du pantalon, tracées comme si elles cherchaient à en marquer le contour, sont la marque d’une influence de l’ukiyo-e. L’influence de l’ukiyo-e est aussi perceptible dans le traitement de l’arrière-plan, que le peintre a simplifié pour ne le traiter que comme une surface colorée, ce qui était très rare à l’époque.
Adolphe Crespin : Paul Hankar Architecte
L’influence de la composition de surface japonaise est perceptible dans le design de cette affiche. Tout en décalant le personnage du centre de l’image, l’artiste parvient à une composition symétrique par le biais des couleurs, des formes et de l’espace. On peut voir çà et là l’influence des modes d’expression japonais dans la manière de rendre la fumée ou dans la répétition de motifs.
De même que la peinture fut libérée de ses carcans, la mode de l’époque aussi fut libérée de ses corsets. L’influence du Japon ne se retrouve pas que dans l’art, mais marqua aussi profondément le monde de la mode en Occident, où l’on observe que la haute société dans son ensemble se mit à porter des robes de chambre inspirées par les kimonos. De nos jours encore, qu’il s’agisse des fameuses initiales de Louis Vuitton, emblème de la marque, qui en réalité auraient été inspirées par les mon (blasons) japonais, comme du succès mondial que rencontrèrent les designers japonais durant les années 1980, ces phénomènes reflètent l’attrait que suscite de par le monde le point de vue particulier du Japon.
Le japonisme ne se laisse donc pas réduire à une simple expression « à la japonaise ». Il s’agit d’un ensemble de valeurs qui s’inspire de la sensibilité esthétique propre au Japon, un ensemble de valeurs jusqu’alors inexistant dans le monde occidental.
Affiche de l’exposition "Japonisme et mode"